Une jeunesse du système D

Hébété devant la tristesse de la page blanche, je me demandais bien ce que j’écrirais pour mon prochain billet. Ces jours-ci  mon processus créatif est en veille prolongée, je l’avoue. Puis je me suis  souvenu de ce mois de février pas comme de la Saint Valentin mais de la jeunesse dans son mode d’accomplissement. En ce moment les gens en parlent partout, toujours et si bien que je m’emballe un peu dans l’organisation de mes idées. Aussi me suis-je dit que bien que banale, ma goutte d’opinion pourrait compter dans cet océan de points de vue. Je ne suis « pas un ours qui danse… ». Le 11 février sera la fête nationale de la jeunesse au Cameroun. Le thème de cette 49ème  édition : « Jeunesse et préservation de la paix pour un Cameroun émergent »
vient à dessein si l’on considère les divers évènements qui rythment la vie sociopolitique du pays.

Au Cameroun, la place de la jeunesse a toujours été un sujet à caution. Sur l’échiquier de la gouvernance, elle a toujours été difficilement perceptible depuis quarante-et-huit (48) ans qu’une journée lui est consacrée. Pourquoi en dépit des discours et autres promesses cette frange reste-t-elle la côte d’alerte de notre gouvernement ? Et dans une absence de repère idéologique comment peut-on préserver la paix sans motivation orientée, sans emploi pour parvenir à l’émergence qui se profile avec toutes les espérances attendues?

Tout de go, je dis que la jeunesse camerounaise est infantilisée par nos grabataires mobiles qui la taxent d’immature et d’incapable. Pour l’occasion, ces dirigeants usent de  l’arme la plus efficace: l’instrumentalisation. C’est cette jeunesse qui est devenue la caisse de résonnance des motions de soutien et autres meetings politiques d’envergure pour quelques tranches de pain et de l’alcool à foison. Et ces plaisirs d’un jour, la plonge dans une torpeur invraisemblable qu’elle semble s’oublier. Du coup, elle n’a pas trop conscience de sa force intellectuelle et sociale, et se laisse absorber par ce jeu. Faute d’être imprégnée d’une culture idéologique et politique forte, elle se complait dans cet état de fait au grand dam de son devenir.

La jeunesse camerounaise évolue dans une totale absence de repère idéologique. Nos devanciers nous ont  désillusionnés par leurs mauvaises conduites si bien que l’idée même que nous nous faisons de notre place dans ce pays est floue. Nous manquons cruellement de modèles à qui ressembler. De dirigeants qui nous inspirent intégrité et devoir social sont au mieux minoritaires, au pire inexistants. Certains jeunes, poussés par l’appât du gain facile perdurent la culture de la fainéantise, de l’avilissement, etc. que nous ont  inculqué ces gouvernants. Le manque d’éducation politique et du bien-fondé de la chose publique nous ont simplement éloignés de ces questions qui finissent toujours en confusion et désintérêt. L’idée selon laquelle le travail acharné est la clef de réussite est remplacée par celle du réseautage, du népotisme, de la corruption et d’autres pratiques plus graves. A la fin, nos parchemins ne deviennent que des faire-valoir dans ce système lorsqu’on a la chance d’en faire partie.

La jeunesse camerounaise valorise ses diplômes dans le système D plutôt que dans les bureaux d’une administration quelconque. Chaque année les diplômés sortent en masse de nos lycées, universités et instituts. Avec des diplômes à tomber par terre, ces jeunes trouvent toujours portes closes au seuil de l’emploi. Et pour les concours, c’est une étoffe de corruption et de clientélisme à tous crins. Ceux qui s’y sont frottés, s’y sont piqués certainement.
Avec un taux de chômage estimé à environ 13%, le sous-emploi criard des jeunes, la préservation de la paix reste une gageure. Ce chômage d’une froideur machiavélique a entretemps généré ce que le célèbre bloggeur camerounais NGIMBIS appelle « les métiers du Renouveau ». Ce sont les métiers de Bensikineurs*, de Call-boxeurs*, de Sauveteurs*, etc. pris d’assaut par des élèves et étudiants désœuvrés. D’un autre côté, ce sont les jeunes victimes de la déperdition scolaire qui sont à la solde des barbares à l’Extrême-Nord. Ils sont recrutés à vil prix pour servir à des causes non engageantes et jouent le rôle de kamikazes et de bourreaux à leurs corps défendant. Ce déshonneur dans un cas comme dans l’autre est la résultante du délaissement, de la négligence, de la mésestime de nos chers dirigeants condescendants qui claironnent la paix et l’émergence à tout va. A croire que l’absence de conflit armée signifiait paix !
Au vu de ces quelques faits énoncés, comment préserver la paix donc ? Je ne prétendrais pas répondre à la question de manière experte. Ce n’est pas mon domaine. Mais en tant que jeune et soucieux d’un mieux-être qui assurerait la concorde, je dis simplement qu’une autre pédagogie est possible. Il faut au préalable être inséré dans un circuit de l’emploi, de prise de décision et de choix non dictés. Cela avec la pleine conscience d’appartenir à un système où l’on nous reconnaît la place et le rôle qui nous sont dévolus. Or, cette jeunesse dans sa volonté d’ascension mue par une ambition débordante de créativité et d’innovation est simplement mise au ban sur toute la ligne dans le cas présent. Et cela n’aide pas à viser l’émergence par l’intégration complète dans le processus de préservation de la paix.

La jeunesse camerounaise est méritante, c’est un fait. Mais elle n’a toujours pas l’occasion et la chance d’exprimer pleinement cet engagement. En dépit des exaspérations et embûches qui entravent son entreprise à s’affirmer, elle existe. Elle croit en sa capacité d’innover et donc de contribuer à l’émergence. C’est elle qui trace sa route dans les sillons de la débrouillardise sans flemme. C’est elle qui façonne la pâte de son devenir courageusement. Qu’on nous dise que la jeunesse est le fer de lance de la nation, d’accord ! Mais si cela reste  toujours un slogan creux, c’est que nous ne sommes pas prêts de sortir de la longue nuit de sommeil dans laquelle nous sommes plongés. Que nos dirigeants et décideurs le comprennent au final. La jeunesse c’est la relève et l’un des leviers déterminants du changement. La jeunesse c’est le bras valide et le ciment qui construiront notre développement intégral. La jeunesse c’est l’arme de préservation de la paix. A condition qu’elle soit intégrée dans la sphère de prise de décision par l’exercice d’une fonction et la liberté d’entreprendre qui va avec.

A la jeunesse camerounaise et africaine que j’espère vivement et que je vois chaque jour dans le théâtre de la débrouillardise. A cette jeunesse condamnée à être méritante.  A la jeunesse qui s’inscrit dans le grand livre du changement qui arrive contre vents et marées ! A la jeunesse entreprenante et combattante que je salue!

Bensikineurs*= moto-taximen qui sillonnent les artères de nos villes.
Call-boxeurs*= vendeurs d’unités téléphoniques dans des cabines mobiles, postés çà et là dans nos rues et ruelles.
Sauveteurs* = colporteurs, vendeurs à la sauvette qu’on voit partout dans les rues


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